Inondations de juillet 2021
(contact : troozinfo@gmail.com)
Indignation.
Au nom des victimes. Au nom des bénévoles.
Et au nom de la nature aussi.
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Céline Tellier
Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt,
de la Ruralité et du Bien-Être animal
Rue d'Harscamp 22
5000 Namur
Madame la Ministre,
Vous aurez lu l’article de Michel De Muelenaere dans Le Soir de ce mardi 12 juillet consacré aux inondations de la mi-juillet 2021 et aux travaux dans et aux abords de la Vesdre qui ont suivis (https://www.lesoir.be/453602/article/2022-07-12/inondations-dans-lurgence-la-nature-est-passee-au-second-plan). Vous aurez lu la chronique d’Anne-Laure Geboes et d’Hélène Ancion d’IEW dans La Libre de ce jeudi 14 juillet sur le même sujet (https://www.lalibre.be/economie/decideurs-chroniqueurs/2022/07/14/inondations-quand-on-fait-le-lit-de-la-prochaine-catastrophe-XFVUQXWTB5B5LNUPBWYQPC6LXI/).
J’habite dans la vallée – sans avoir été impacté par la catastrophe – et j’ai été aux premières loges pour observer la réponse brutale et sans concession que « les autorités compétentes » ont mise en œuvre au niveau de la rivière.
« Indignez-vous ! ». Donc je m’indigne, encore une fois. Au nom des victimes. Au nom des bénévoles aussi, venus par milliers pour aider de toutes les manières. Après les inondations, certains ont incriminé la Vesdre et les forces de la nature ; d’autres ont compris que cette rivière qui a tant apporté à la région était elle aussi victime de la désaffection qu’on lui porte depuis si longtemps. C’est ainsi que 600 bénévoles – parmi lesquels des personnes ayant dû quitter leurs logements inondés – ont œuvré des semaines et des mois durant dans la réserve naturelle domaniale de Goffontaine transformée en un dépotoir géant.
Les articles du Soir et de La Libre, je les ai lus et même relus et je peux vous dire qu’effectivement, l’administration des cours d’eau non navigables (DCENN) a fait « vite et pas dans la dentelle » ; c’est peu dire que la nature est passée au second plan. Pendant la phase d’urgence mais aussi bien après, les pelles mécaniques et autres engins de chantier s’en sont donné à cœur joie dans le lit de la rivière et sur ses berges, transformant un cours d’eau déjà très artificialisé en un canal voué à évacuer les débits le plus rapidement possible. Certains affluents ont dégusté eux aussi. Tout le contraire de ce que recommandent les environnementalistes et les spécialistes des rivières et de leur « fonctionnement ».
Même dans des zones qui ne présentent aucun danger pour les personnes et les biens, aucun espace n'a été rendu à la Vesdre pourtant totalement corsetée de Verviers à Chênée, aucune place n'a été laissée à la nature, aucune chance n'a été laissée à l'évolution naturelle des milieux nouvellement créés. Tous les discours en faveur de la biodiversité, des habitats, des rivières... sonnent terriblement creux. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » : voilà une réalité tirée du terrain. A-t-on appris quelque chose ? A-t-on remis en question quoi que ce soit au niveau des actions sur le terrain ? Souvent, on s'autorise à détruire beaucoup sous prétexte que l'on protège un peu ; dans le cas de la Vesdre post-inondations 2021, on n'a jusqu'à présent fait que de détruire. Cela va-t-il continuer ?
Oui, il fallait intervenir et réaliser de gros travaux mais pas au détriment d’un écosystème par définition mouvant dont la dynamique, qu’on le veuille ou non, doit être respectée et non pas vainement contrée. C’est une évidence, la vallée de la Vesdre est moins résiliente qu’il y a un an. En d’autres mots, si par malheur un nouvel événement pluvieux de très forte intensité - comme le prédisent les météorologues d’ici 2050 - devait subvenir aujourd’hui dans le bassin de la cette rivière suivi d’une crue sur l’ensemble de son lit majeur, le danger pour les personnes et les biens serait supérieur à ce qu’il était voici un an !
C’est incroyable et c’est en bonne partie à la DCENN qu’on le doit ! Comment expliquer que l’anse d’érosion créée dans un méandre à Goffontaine ait été comblée alors qu’il s’agit d’un attribut indispensable des cours d’eau ? Comment expliquer que des tronçons de rivières aient été enrochés là où strictement aucun risque n’était présent, comme en rive droite à hauteur de la cité de Fraipont ? Comment expliquer que l’on ait aménagé partout des talus à 45° ? Comment expliquer que les derniers paysages attrayants de la vallée aient été balafrés ?
La nature ne s’en sort pas mieux. Même s’il est invisible aux premiers abords, l’impact des travaux de curage et de reconstruction sur l’écosystème et la biodiversité est gigantesque et largement irréversible. Un aménagement d’ampleur a été réalisé en faveur de la nature : la « noue » qui a remplacé la canalisation qui emprisonnait le ruisseau du Songnon dans la réserve naturelle domaniale de Goffontaine. Malheureusement, du fait du mauvais niveau du plancher, elle n’est écologiquement pas fonctionnelle ! On a aussi pas mal reboisé les berges, régulièrement après l’enrochement de leur base puis leur talutage et… en partie avec des petits fruitiers. Où est l’ « excellence » vantée par la Région wallonne ?
Dans le hors-série d’Imagine sorti en juin au niveau du risque climatique et social, Christine Mahy explique qu’on est en plein dans la prévention « réparation », que l’on applique quand tout va déjà (trop) mal. Elle pose la question de la vision d’avenir proposée par le Politique et la manière dont elle est ensuite traduite sur le terrain, avec quelle permanence et comment les populations locales sont impliquées. Dans le domaine des cours d’eau, de leur état physique et de leurs fonctions écologiques, on n’en est manifestement même pas encore là. L’appel à projet « Résilience Biodiversité - Climat » va dans le bon sens ; après avoir vu la DCENN à l’œuvre, je comprends mieux pourquoi vous invitez les acteurs locaux publics et privés à proposer des projets de mise en place la reméandration de cours d'eau et de création de zones d'immersion temporaire pour lutter contre les inondations. Vu la technicité et la complexité du sujet et la nécessité d’une vue transversale et globale, ce devrait pourtant être une tâche avant tout exécutée par l’Administration. La DCENN ? Surtout pas, d’autant plus qu’elle n’a manifestement que faire des avis qui lui sont remis !
Madame la Ministre, allez-vous, dans le cadre de cet appel, faire recreuser l’anse d’érosion de Goffontaine, exproprier et aménager les 4 hectares de terrains agricoles du méandre – occupés par des chevaux jusqu’en juillet 2021 – en une zone de grande valeur biologique, répondant ainsi à la double crise climatique et de la biodiversité ? Va-t-on pouvoir y éradiquer la centaine de stations de renouées du Japon réapparues sur le site malgré l’étrépage de début d’année ?
Très rapidement après les inondations, des autorités compétentes et des naturalistes ont averti de la nécessité de composer avec la rivière, sans jamais remettre en cause l’urgence des interventions requises après la catastrophe. Qu’en a-t-on réellement fait ?
Pourquoi les avis du Département de l'Etude du Milieu Naturel et de l'Environnement, pôle scientifique de la Région wallonne, n’ont-ils jamais été pris en considération ? Pourquoi l’avis d’initiative de la "Section Nature" du "Pôle Ruralité" du 10 décembre 2021 sur « l’importance de renforcer la naturalité et la résilience des cours d’eau wallons suite aux inondations de juillet 2021 », dont vous avez accusé réception, n’a-t-il pas été pris en considération ?
Vous rétorquerez, comme la DCENN, que les actions favorables à la nature arrivent maintenant. On ne peut qu’être très inquiet lorsque l’on apprend qu’un peu moins de la moitié des 1.000 sites nécessitant des travaux ont été sécurisés et que le reste viendra d’ici la fin de l’année. Va-t-on continuer à travailler de la même manière, en reléguant à plus tard l’intérêt porté à la rivière elle-même ? La voie cyclable qui doit être construite dans les prochaines années entre Trooz et Verviers, de 4 m de large, va-t-elle détruire les derniers espaces où subsiste un peu de « nature » ? Va-t-on continuer à tout décider à huis clos et à négliger les avis et les appels des scientifiques et des naturalistes ? Va-t-on vraiment pouvoir déconstruire des infrastructures telles que des enrochements de berge qui ont coûté des fortunes ? Va-t-on simplement rendre de l’espace et de la liberté à la Vesdre, ce dont elle a le plus besoin ? Ou la « gestion naturelle des cours d'eau » restera-t-elle de la sémantique ?
Vous savez, Madame la Ministre, c’est pénible de s’engager en faveur de la protection de la nature et de l’environnement en Région wallonne. On a bon être altruiste et s’investir dans un but que l’on pense être d’intérêt général, on doit constamment défendre tout en reculant, ce qui finalement équivaut à retarder une échéance qui nous parait de plus en plus inéluctable : un appauvrissement écologique généralisé de notre territoire, et avec lui la dégradation des services écosystémiques et des conditions de vie des populations.
J’ai assisté le 28 juin à Chaudfontaine à la présentation – remarquable – du prédiagnostic réalisé par le Studio Paola Viganò et le Team Vesdre ULiège dans la perspective de la réalisation du schéma stratégique du bassin versant de la Vesdre. « Réfléchir... afin de ne plus subir la situation de juillet 2021 et d’inscrire ce territoire dans les transitions écologique et socio-économique. » Une nouvelle fois, il est fait appel à des gens de grande compétence pour établir un plan pour l’avenir. Puisse leur travail être reconnu et traduit en actions. Deux jours plus tard, en tant que membre de la CLDR, je participe à Trooz à la permanence au cours de laquelle des scientifiques de l’ULiège nous présentent le même diagnostic. Quelque peu excédé par la propension des communes à se poser en victimes et à se disculper de toute responsabilité dans la gestion du territoire, je fais part de… mon indignation face à leur inertie et à l’absence de démocratie citoyenne ; le Directeur général de Trooz répond en affirmant que la gestion participative est un concept politique qui ne fonctionne pas… Les deux échevins présents s’abstiendront de rappeler que ce point occupe pourtant une place dans la déclaration de politique générale. Le mieux et le pire se côtoient souvent et cela n’aide ni à impliquer la population, ni à la rapprocher du Politique.
Il est heureusement une autre initiative qui émane du monde universitaire et qui mérite tous les égards : pendant une année, 150 étudiants de 3 universités (ateliers d’architecture et d’urbanisme) ont travaillé sur l’adaptation du bassin de la Vesdre et ont proposé des projets pour différents points du territoire. Ces travaux sont rassemblés au sein de la Task Force Vesdre et exposés à la gare SNCB de Verviers-Central jusqu'au 15 juillet. Voilà qui annonce une génération de « gestionnaires » certainement bien mieux à même que nous de concevoir un monde en harmonie avec la nature et les rivières.
Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, mes meilleures salutations.
Olivier Baltus
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