Liaison autoroutière Cerexhe- Heuseux - Beaufays
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Non, CHB n’est pas enterré
Bien qu’il fasse sporadiquement parler de lui dans les médias, le projet de liaison autoroutière reliant Cerexhe-Heuseux à Beaufays (CHB) semble ne plus trop intéresser les citoyens qui, au tournant des années 2010, s’étaient pourtant mobilisés en nombre face à lui.
A l’époque, et à la place de CHB, les opposants avaient eu l’idée étonnante mais visionnaire de réclamer le retour du tram à Liège, ceci afin de doter la Ville de l’élément central permettant le redéploiement d’un réseau structurant de transports en commun en tant que véritable alternative à la voiture. Après bien des péripéties, le financement de ce projet repris par toutes les forces politiques liégeoises a été définitivement acquis… l’année initialement imaginée pour sa mise en œuvre et qui devait correspondre avec l’exposition internationale Liège 2017. En 2020, la ligne reliant Sclessin à Coronmeuse, soit 12 km et 21 stations, sera normalement mise en service… sans que Liège et sa périphérie, faute de politique volontariste et d’investissements suffisants dans les alternatives à la voiture, ne soient pour autant libérées de leurs problèmes de congestion et de pollution qui affectent gravement le cadre de vie et la santé des habitants.
Toujours aussi peu ambitieux lorsqu’il s’agit de prendre des mesures susceptibles de mécontenter les automobilistes censés ne jamais vouloir / pouvoir se passer de leur voiture, ne fut-ce qu’en ville, certains responsables politiques sont revenus avec cette idée que construire une nouvelle route ne pouvait qu’améliorer la mobilité, a fortiori un tronçon autoroutier de 12,5 km reliant la E40 à la E25 via un viaduc de 80 m de haut surplombant la vallée de la Vesdre, le tout pour un coût estimé aujourd’hui à 600 millions d’euros. Ceci en dépit du plan communal de mobilité (PCM) de Liège qui démontre que le trafic circulant sur les quais de la Dérivation est pénétrant et non transitoire et que la liaison CHB n’aura qu’un effet marginal et temporaire sur ce flux. En dépit également de cette évidence : un axe pourvu de nombreuses sorties locales – comme ce serait le cas de la liaison CHB – favorise non seulement la périurbanisation mais l’engorgement aux heures de pointe, pour preuve la dangereuse tranchée de Cheratte et le tunnel de Cointe dont la mission d’axe de transit est contrecarrée par le déplacement local.
Les enjeux autour de cette liaison dépassent de loin la seule question de son coût – un budget qui pourrait être affecté à une mobilité plus intelligente et plus démocratique – comme de la mobilité en général, dont on sait qu’elle ne s’améliore pas avec le développement des infrastructures qui ont plutôt pour effet d’augmenter la demande en transports motorisés (aspirateur à voitures).
Le transport routier est responsable de 24 % de la production de CO2 en Wallonie, cette part étant en croissance depuis plusieurs années. Or, le réchauffement climatique est le plus grand défi que notre humanité a jamais eu à relever, chaque pays, chaque entité, chaque communauté et chaque individu ayant une responsabilité et sa part à jouer. La pollution par les gaz d’échappement et notamment les particules fines est responsable de nombreuses affections et aggrave les difficultés des personnes déjà fragiles ou affectées de maladies chroniques. Les espaces accaparés par les routes de tous gabarits et les structures annexes tels que les parkings sont définitivement perdus pour de nombreux usages dont la nécessité se fait croissante, comme le logement ou la production agricole. La place occupée par les voitures stationnées dans les villes réduit d’autant les espaces de vie accessibles aux habitants et les transports doux, donc la qualité de la vie urbaine. La perte d’habitats naturels et leur fragmentation participent à l’érosion accélérée de la biodiversité. Les paysages sont malmenés et artificialisés parfois jusqu’à totale dénaturation. Sans oublier que la route continue de faire des victimes, certes de moins en moins nombreuses, mais toujours aussi choquantes. Si certains automobilistes considèrent payer trop cher à l’Etat leur droit de rouler, le coût sociétal de l’usage abusif et sans concession de la voiture se chiffre en une monnaie que les taxes de mise en circulation, les accises sur les carburants, les paiements de parking et les contraventions ne pourront jamais rembourser.
Alors pourquoi continuer à défendre un projet qui va à l’encontre de la transition dont notre société a un urgent besoin ? Les hommes et les femmes politiques ignorent-ils ces inconvénients, sont-ils plus que d’autres addicts à la voiture, ou ont-ils un intérêt à ce que rien ne change ? Quelle est leur marge de manœuvre face à la spéculation immobilière et foncière, et leur capacité de résistance face aux lobbys de l’automobile et aux intérêts des uns et des autres en matière d’infrastructures ?
Une nouvelle forme de mobilisation est nécessaire
Construire une nouvelle route, n’est-ce pas faire ce que l’on fait depuis les années 60’ et se rapprocher plus encore du pied du mur au point de ne plus pouvoir sauter l’obstacle ? Car le revers de ces voies rapides qui facilitent les entrées en ville sinon les accès à sa périphérie, c’est qu’il est tout aussi facile – du moins avant la congestion routière – de s’en échapper. Malgré les efforts de la Ville de Liège, la présentation du SDALg[1]aux élus de l’arrondissement le 13 septembre au Palais des Congrès de Liège nous a appris que la périurbanisation se poursuit ; ce phénomène qui voit les habitants, et avec eux les logements, les commerces et les centres d’activités, quitter la Ville pour s’installer « à la campagne » entraine aussi la poursuite de cette ségrégation entre les moins nantis qui restent coincés dans les quartiers urbains dégradés et les gens qui ont les moyens financiers nécessaires pour partir vivre dans la grande périphérie et son cadre préservé au prix d’une dépendance croissante à la voiture. La Ville qui s’appauvrit et la campagne qui s’urbanise, c’est aussi ce qu’encouragerait CHB.
Plus que jamais, une entité supracommunale doit être créée à l’échelle de l’arrondissement de Liège afin de renforcer la nécessaire solidarité entre la Ville de Liège et les 23 communes de ses 1ère et 2ème couronnes, en faveur d’un aménagement du territoire qui renforce les pôles urbains, limite les besoins en déplacement, permette le déploiement d’un vrai réseau structuré et performant de transports en commun, privilégie les modes de déplacement doux et respecte les diverses identités communales. Lors du colloque « La fabrique des métropoles » organisé par Urbagora[2] à l'Université de Liège les 24 et 25 novembre, une évidence a été répétée : quand une ville centre se porte mal, c'est toute son agglomération qui trinque. Il est donc dans l’intérêt de tous de relocaliser les fonctions et les moyens sur une base élargie et transversale.
En collaboration avec Inter Environnement Wallonie, les opposants de la première heure au projet de liaison CHB rassemblés au sein du « Groupement CHB »[3] organisaient le 19 novembre un « Trail du Second Souffle » ainsi qu’une marche dont les parcours empruntaient le tracé de cette liaison. 800 participants provenant surtout de la région mais aussi de plus loin ont découvert des paysages somptueux, notamment les pelouses calaminaires du Bois les Dames et de La Rochette, créées suite aux retombées polluantes provenant des anciennes activités sidérurgiques de Prayon. Mais aussi une région vallonnée et accueillante que l’on ne peut qu’espérer être épargnée par cette autoroute qui, non seulement ne règlera rien, mais accaparera des ressources indispensables à la transition plus nécessaire et urgente que jamais, en matière de transports notamment.
La majorité des commerçants de la vallée contactés avant le trail l’ont bien compris : l’autoroute et sa bretelle d’accès direct favorisera autant les départs que les arrivées et créera de graves embarras de circulation dans l’étroite vallée où l’on se dit favorables au progrès et au développement, mais durables. Non à l’autoroute, oui à une offre élargie de transports en commun structurants, oui à une couronne verte à l’Est de Liège, oui à la solidarité et à l’intelligence, oui à l’avenir.
Olivier Baltus
Conseiller communal VEGA Trooz
[1] Schéma de Développement territorial de l’Arrondissement de Liège
[2]Des idées pour la ville http://urbagora.be/