La liaison Cerexhe Heuseux - Beaufays
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Le 27 avril dernier avait lieu au Théâtre de Liège, dans le cadre du festival « Emulation », un débat autour de CHB, acronyme de cette liaison autoroutière imaginée dès les années 60’ pour relier Cerexhe Heuseux à Beaufays, à l’Est de Liège.
L’occasion d’entendre les arguments de 2 personnalités très investies dans ce dossier, mais dans des sens opposés. Et de se faire sa propre idée.
François Schreuer est élu VEGA de l’opposition à la Ville de Liège ; Philippe Dodrimont est Bourgmestre MR d’Aywaille et Député wallon.
La liaison CHB est récemment réapparue dans la presse à l’occasion de l’annonce par le Gouvernement wallon de sa décision de permettre à la Région de racheter, sur base volontaire, les propriétés situées dans la zone de réservation, et de ce fait privées de toute possibilité de développement depuis de nombreuses années. D’une longueur de 12,5 km, cette liaison doit relier la E40 à l’E25 en traversant les communes de Soumagne, Fléron, Trooz et Chaudfontaine, constituant ainsi un contournement Est de l'agglomération de Liège. Son coût est aujourd'hui estimé à environ 500 millions d’euros.
Philippe Dodrimont se défend d’emblée d’être un partisan acharné de la route ; ces 12,5 km représenteraient 0,16% des 7.750 km du réseau routier et autoroutier wallon et constituent un chaînon manquant qu’il convient de combler. D’après lui, compléter le réseau existant apportera bien des solutions en termes de mobilité.
Les problèmes de mobilité, parlons-en : ce sont ceux que l’on rencontre depuis des années sur les quais de la Dérivation à Liège, et qui font perdre un temps fou aux automobilistes qui s’y engagent… aux heures de pointe. Ce sont aussi les traditionnels ralentissements au niveau du ring Nord et de la célèbre et dangereuse tranchée de Cheratte. C’est le tunnel de Cointe, ouvert en 2000, et qui avec ses 80.000 voitures par jour, est aujourd’hui saturé… aux heures de pointe. Est-ce à dire que toute nouvelle infrastructure routière est destinée elle-aussi à n’apporter qu’une solution temporaire à la congestion du trafic ? C’est la position de François Schreuer pour qui la liaison CHB constitue un énorme encouragement à la périurbanisation, ce phénomène qui voit la ville, les logements, les commerces et les centres d’activités s’étendre toujours plus à la campagne, avec pour conséquence notamment un accroissement significatif des besoins en transport ! Dans ce schéma, le moyen de transport utilisé par les gens est dicté par le choix collectif d’investir dans les infrastructures routières : chaque famille a besoin d’une, voire deux voitures pour les déplacements quotidiens vers le lieu de travail, l’école, le cinéma, le club de sports… Bien d’autres choses essentielles sont en bonne partie conditionnées par ce choix : l’endroit où vivre et se loger, élever ses enfants... Le cercle vicieux est connu : les gens qui le peuvent quittent la ville-centre, qui perd des moyens et qui a de plus en plus de mal à demeurer attrayante. La ville s’appauvrit en même temps que sa population, et une forme de ségrégation s’opère. A l’heure où les difficultés budgétaires imposent de faire des choix, 500 millions d’euros représentent une énorme somme d’argent ; François Schreuer plaide pour le développement à Liège et dans sa grande périphérie d’un réseau de transports en commun structurant offrant une alternative efficace à la voiture. Et de proposer un objectif réaliste à moyen terme pour les déplacements vers Liège en voiture : diminuer sa part modale de 90 % aujourd'hui à 70 % dans les dix ans qui viennent. Ce serait tout bénéfice pour ceux qui ont décidé d’habiter à la campagne puisqu'ils seront moins dépendants de leur voiture, comme pour les habitants de Liège qui seront moins envahis par les véhicules et dont le cadre de vie s’améliorera.
Dans un élan de sincérité, Philippe Dodrimont révélera ce que tout le monde sait : malgré la volonté actuelle de la majorité parlementaire wallonne, le projet CHB reste dans son carton en raison d’un moratoire budgétaire. Et aussi parce que le projet de tram à Liège est prioritaire et nécessitera d’investir des centaines de millions d’euros. Pour le député, l’un n’exclut pas l’autre et tous les deux sont nécessaires. D’ailleurs, le passage à l’Est de la ville en lieu et place de son contournement par l’Ouest réduira la distance à parcourir de plus de 30 km, ce qui se traduira inévitablement par une moindre pollution et donc un gain écologique, ce à quoi il se dit très sensible.
D’après l’élu MR, CHB permettrait de réduire de 15 % le trafic sur les quais de la Dérivation, au cœur de Liège. Même ce chiffre pourtant famélique, son opposant le conteste, avançant que la liaison CHB retirerait 3% du trafic et qu’après 10 ans, on en serait revenu au point de départ !
D’innombrables études et projections ont été faites en 50 ans, dont l’Etude d’Incidences sur l’Environnement (EIE) de CHB et le Plan Urbain de Mobilité (PUM) de l’arrondissement de Liège, dont les chiffres peuvent être contradictoires ou interprétés différemment. Cela étant, François Schreuer entend rappeler que le PCM (plan communal de mobilité) de Liège, actuellement en cours de réalisation, a donné lieu à des comptages aux entrées et sorties de la ville qui ont démontré qu’une très grosse majorité des voitures circulant sur les quais de la Dérivation constitue un trafic non en transit mais pénétrant, et donc très néfaste pour la ville et sur lequel CHB n’aura aucun effet. Il considère qu’il est faux de dire que les infrastructures routières vont résoudre ce problème ; elles vont au contraire encore accroitre le phénomène de périurbanisation et la pression sur la ville. 70 à 80 % de l’espace public est dédié à la voiture ; réduire cette part libèrerait des espaces pour plein d’autres choses. Pour lui, la liaison CHB n’est pas qu’une question de mobilité mais surtout de territoire ; il est un prodigieux levier au service d’un modèle de développement qui a fait des ravages en Wallonie ces 40 ou 50 dernières années car gourmand en espaces, couteux et générateur de nombreuses difficultés, dont une mobilité très, sinon strictement dépendante de la voiture. Au final, on oublie que ce sont aussi les Liégeois qui subissent les conséquences néfastes de 40 ans de périurbanisation. Ce à quoi s’oppose l’élu MR qui voit dans l’habitat en zone rurale une caractéristique de la Wallonie, et qui rappelle que la Région accueillera 300.000 nouveaux habitants d’ici 2040 et qu’il faudra bien les loger quelque part. Et de titiller son contradicteur en rappelant que le Ministre Ecolo Philippe Henry avait bien dû se résoudre en fin de mandat en 2014 à l’idée de créer un axe routier reliant CH à B… CHB n’est donc pas la volonté d’un homme, lui en l’occurrence, ni d’un seul parti !
Philippe Dodrimont se veut le défenseur d’une diversité des moyens de transport et de mobilité, et donc pas uniquement le vélo, le bus et le tram mais aussi la voiture, arguant que l’on ne peut malheureusement pas toujours s’en passer. Comme dans la région d’Aywaille que le Bourgmestre aimerait rendre plus accessible aux touristes, du Nord notamment. Le Bourgmestre insiste : il n’y a pas de vérité absolue dans un sens ou dans un autre et le projet CHB s’inscrit dans un plan d’ensemble. La preuve : il s’est lui-même battu pour conserver la ligne ferroviaire qui passe à Aywaille.
Sur ce point, les 2 élus se rejoignent : François Schreuer aussi est pour la diversité des moyens de transport, et donc pas seulement la voiture car mettre tous ses œufs dans un même panier, c’est ce qu’on a fait pendant 50 ans ; il est temps de rétablir un équilibre et de faciliter concrètement l’intermodalité. Il pense défendre tout autant la campagne que la ville quand il plaide pour un habitat dense en lieu et place d’un étalement urbain et des développements linéaires qui seront encouragés par CHB et ses 4 échangeurs entre Cerexhe et Beaufays qui ne manqueront pas de créer un effet d’appel. Et de citer les avantages d’un réseau structurant de TEC comprenant un RER sur les voies ferrées existantes, offrant des transports en commun confortables et fréquents jusqu’au centre de Liège : une solution structurelle à l’ensemble de l’agglomération liégeoise, le décongestionnement du réseau routier existant aux heures de pointe, une possibilité de mise en œuvre rapide, un entretien des infrastructures moins coûteux pour la collectivité, et au final un avantage en termes de qualité et de cadre de vie pour les ruraux comme pour les Liégeois. Plus largement, l’élu VEGA constate qu’au niveau européen, Liège est très en retard en matière de transition, la citant parmi les 3 seules villes européennes de plus de 300.000 habitants qui ne disposent pas d’un réseau structurant de transport public : trains, tram, bus, déplacements doux, le tout coordonné. Une orientation pour, selon lui, retrouver une mobilité efficace de manière beaucoup plus souple. Au-delà de la mobilité, c’est d’accessibilité dont il s’agit : accès au logement, au travail, aux services… : les infrastructures doivent répondre à des besoins et non en créer. Plus fondamentalement se pose aussi un choix de société : François Schreuer pense que ce qu’il faut faire, c’est repenser un modèle territorial qui recrée des liens de proximité et fait gagner du temps, de l’énergie, épargner du stress, un modèle moins couteux en matière d’occupation de l’espace. Et un modèle qui privilégie les produits qui voyagent peu, ce qui ne manque pas de piquant à l’heure où Liège mise une part de son avenir économique, et donc de sa prospérité, sur la logistique ; ce que l’élu qualifiera de nouvelle monoculture économique. Ce modèle passe par l’abandon de l’inflation de la voiture.
Et de conclure en invitant le Député Bourgmestre d'Aywaille à abandonner cette chimère autoroutière au risque d’y passer en vain tout le reste de sa carrière, pour plutôt défendre les moyens de transport alternatifs qui peuvent apporter à beaucoup plus brève échéance des solutions de mobilité concrètes, pour les habitants des vallées de l'Ourthe, de l'Amblève et de la Vesdre.
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