Les forêts publiques menacées
(contact : troozinfo@gmail.com)
Monsieur le Ministre,
Messieurs les (4) parlementaires,
Après le vote ce 5 décembre en commission parlementaire d’une proposition de décret facilitant le passage au privé de certaines forêts appartement à la Région, le Ministre cdH de l'Agriculture René COLLIN se justifie dans les médias en exposant son souhait d’associer davantage le privé à la gestion forestière et d’attirer des « petits épargnants » par le biais de groupements forestiers. Objectif : la redynamisation de la filière bois.
La contestation naissante du public et d'associations diverses a heureusement éventé la manière bien peu démocratique avec laquelle les porteurs cdH et PS de cette proposition parlementaire entendaient modifier le Code forestier pour finalement permettre la vente de pans entiers de ces forêts sans l’aval du Parlement wallon. C’est donc bien de la privatisation de nos forêts publiques dont il s’agit.
La modification du Code forestier
Ce Code, complètement renouvelé en 2008, réglemente la gestion des forêts publiques en Wallonie. Les propositions de modification portent sur 2 articles :
- article 114 : permettrait au Gouvernement wallon de vendre des forêts domaniales indivises aux plus offrants. Des milliers d’hectares sont potentiellement concernés partout en Wallonie. Le texte permettrait également de vendre les forêts strictement domaniales à des groupements forestiers.
. - article 74 : concerne toutes les forêts publiques, domaniales et communales, et prévoit la possibilité de vendre anticipativement du bois via des droits sur des coupes futures de forêts. L’avantage pour le vendeur public est de disposer directement du produit de la vente et pour l’acheteur d’investir un capital avec un très bon rendement garanti. Mais avec le risque d’une réorientation de ces forêts vers la seule fonction productive, au détriment de sa gestion durable et de ses fonctions sociales et environnementales !
Face au tollé provoqué par le vote en commission de l’environnement (abstention du MR, vote contre d’Ecolo), le Ministre COLLIN et les parlementaires à l’origine de cette brillante idée esquivent en annonçant la « suspension » de la proposition dans l’attente des résultats d’une consultation de diverses instances : Conseils supérieurs wallons de la Nature et des Forêts, Inter-Environnement Wallonie, Natagora, NTF (propriétaires ruraux), Société royale forestière de Belgique, chef du Département de la Nature et des Forêts. Généralement, pour des décisions aussi fondamentales, on demande les avis avant et on décide après…
L'occasion pour ces instances d'ouvrir les yeux de nos décideurs sur les conséquences de leurs propositions contre lesquelles on aimerait ne pas toujours devoir se battre afin de préserver l'intérêt commun.
Car rappelons que le monde associatif et les citoyens ont déjà dû se mobiliser pendant des semaines début 2016 afin de faire comprendre aux politiques que la suppression de la protection des haies dans le Code du Développement Territorial (le CoDT, qui remplacera bientôt le CWATUP) aurait été une catastrophe pour la biodiversité, les paysages et le tourisme rural. Au cours des 18 derniers mois, le monde associatif, encore lui, s’est aussi mobilisé partout en Europe pour convaincre la Commission européenne de ne pas déforcer les Directives Oiseaux et Habitats qui sous-tendent toute la politique de conservation de la nature des Etats membres au travers du réseau écologique Natura 2000.
Nous voilà à nouveau, simples citoyens, obligés de rappeler à nos élus que notre patrimoine est un bien commun précieux que les autorités publiques ont le devoir de gérer en bon père de famille !
En tant que citoyen, je veux aussi donner mon avis au Ministre et aux parlementaires quant à l’avenir de nos forêts publiques.
Voir aussi l'article du journal Le_Soir_La_foret_wallonne_10_et_11
Au vu des dégâts occasionnés au sol et du peu d'intérêt porté aux fonctions écologiques de la forêt, ce sont les propriétaires privés qui - dans bien des cas - devraient bénéficier de l’expertise des forestiers de l’administration du DNF !
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Un intérêt pour les forêts ?
- Le Code Forestier consacre la multifonctionnalité de la forêt publique wallonne qui, en plus de la production de bois à destination de l’industrie, a aussi des missions socio-récréatives et environnementales. Les professionnels du DNF (Département de la Nature et des Forêts) sont unanimes pour dire que la forêt de demain sera bien différente de celle d'aujourd'hui, bien trop peu résiliente par rapport à l'évolution de notre environnement et notamment des changements climatiques. La régénération naturelle des essences, le remplacement progressif des peuplements monospécifiques et équiens par des forêts mélangées d'âges multiples, une sylviculture selon les principes pro sylva, la protection des sols, l'augmentation de la quantité de bois mort, une gestion cynégétique plus en accord avec les capacités d'accueil de la forêt... sont autant de voies à suivre. Les bois produits par les forêts publiques sont bien trop mal valorisés par la plupart des professionnels du secteur qui se limitent à réclamer une ressource bon marché disponible en quantité.
. - Les forêts privées sont de plus en plus soumises au dictat de la rentabilité à tout prix, ne lui réservant qu'un objectif de retour sur investissement en contradiction avec la période de croissance et de maturation des arbres qui couvre au minimum 2 générations humaines, parfois bien plus. Comme pour les terres agricoles, le rachat de vastes massifs forestiers par des investisseurs en sont la meilleure preuve. Les dernières ventes de forêts domaniales (durant la période hollandaise précédant la création de la Belgique en 1830) leur ont été fatales : déboisement massif par les acquéreurs privés ou enrésinement complet d'un patrimoine forestier feuillu. Nos paysages portent encore les stigmates de cette privatisation des forêts domaniales pourtant ancienne. D'autres massifs forestiers privés sont gravement affectés par des densités anormalement élevées de grands gibiers : arbres écorcés, régénération naturelle anéantie et végétation herbacée surexploitée par les cervidés, petite faune sauvage détruite par les sangliers.
Les agents forestiers du DNF prennent soin de ce patrimoine commun et n'ont rien à envier aux gestionnaires privés ; les uns et les autres ont juste intérêt à travailler ensemble en bonne intelligence, dans le respect de l'équilibre actuel entre les propriétés publiques (domaniales et communales) et privées.
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Un intérêt pour l'économie ?
On a déjà connu cela, la vente d'un patrimoine public immobilier pour assurer une rentrée ponctuelle d'argent et contribuer à l’ajustement d’un budget public : le court termisme dans sa plus grande splendeur. Or, dans le cas des forêts, le public ne fait rien d'autre que de gérer un patrimoine vivant en veillant à préserver le capital pour ne prélever que l'intérêt... vendu à l'industrie privée de la transformation et de la valorisation du bois. Où est le problème ?
Le tourisme doux, les sentiers de randonnée, les circuits courts et les produits du terroir, l'image de nos Ardennes belges et ses paysages... : autant d'éléments constitutifs de la vie économique de notre région qu'il serait incompréhensible de galvauder. Vendre des milliers d'hectares de forêts à des privés pour quelques dizaines de millions d'euros n'a aucun sens dans l'idée que le long terme et l'intérêt des prochaines générations doivent aussi être pris en compte, de même qu'une bonne gouvernance et l'utilisation intelligente des deniers publics.
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Un intérêt pour l'environnement ?
Les travaux de débardage des bois sont très destructeurs s'ils ne sont pas strictement encadrés... et contrôlés, surtout sur les terrains très pentus. Même sur les terrains publics, les "voies de vidange" qui servent à débarder les grumes s'apparentent parfois à de terribles saignées qui balafrent pour toujours les versants. Si une bien plus grande rigueur est de mise, c'est chez les privés que les efforts les plus importants restent à faire.
Les cours d'eau en forêt méritent aussi d'être mieux préservés. Les infractions en matière de chasse très négativement impactantes pour l'écosystème forestier subsistent, notamment au niveau du nourrissage des animaux et du respect des quotas de tir du gros gibier. En quoi l'intervention du privé, sinon son accaparement des forêts publiques, permettront-ils de mieux considérer ces enjeux et faire progresser les pratiques ?
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Un intérêt pour la nature ?
Même si des efforts sont encore à faire, la nature est aujourd'hui une composante centrale de la gestion publique de la forêt. La population le souhaite ardemment, elle qui se montre de plus en plus sensible à cette question, consciente des enjeux en présence.
Les Directives Oiseaux et Habitats qui sous-tendent le réseau Natura 2000 imposent une série d'objectifs à atteindre afin d'assurer la préservation d'espèces et d'habitats menacés à l'échelle européenne. Les contraintes les plus fortes s'appliquent au niveau des propriétés forestières publiques intégrées dans le réseau, au sein desquelles des mesures favorables à la biodiversité sont d'application (arbres morts, ilots de sénescence, mises à blanc de surfaces réduites, conservation des massifs feuillus...). Les forêts privées sont bien moins concernées et pour celles qui sont sous statut Natura 2000 et dont les propriétaires perçoivent donc une indemnité annuelle à l’hectare, les mesures ne pénalisent nullement l'exploitation forestière. Une reprise en main privée de la gestion de certains espaces forestiers n'aurait aucun avantage au niveau de la biodiversité, bien au contraire.
Feuillus ou résineux ?
Régulièrement, les tenants de la prédominance du volet économique de la forêt dénoncent le pourcentage trop élevé des surfaces couvertes par des feuillus (52%) au détriment des résineux (48%). Les projets LIFE nature qui se sont succédé ces dernières années en plusieurs endroits de l'Ardenne ont effectivement conduit au désenrésinement de fonds de vallée et terrains sur sols gorgés d’eau et (para)tourbeux tout à fait impropres à la production de bois, au bénéfice de la nature. Le tout pour des surfaces de peut-être 2.000 hectares, soit moins de 0,5% de la forêt wallonne ! Ailleurs en forêt publique, ce sont les gestionnaires forestiers eux-mêmes qui replantent des feuillus après une, parfois deux générations d'épicéas qui ont épuisés les sols les moins propices à une sylviculture de production. Cette (quasi) parité entre feuillus et résineux doit être établie sur base d'éléments objectifs de terrain (qualité des sols, relief, potentiel écologique...) et non décrétée de manière théorique. Il en va de la conservation des forêts feuillues mais aussi de la protection d'espèces emblématiques telles que la barbastelle, la moule perlière, le pic mar, la cigogne noire..., autant de joyaux de notre patrimoine naturel.
La diversification des essences dans les peuplements résineux et le maintien d'arbres morts : 2 évolutions dans les forêts publiques qui participent au rétablissement des écosystèmes forestiers.
La fonction récréative, consacrée parle Code forestier.
L'exploitation des bois en bordure de rivière requiert les plus grandes précautions.
Le hêtre, espèce typique de nos forêts ardennaises, montre des signes d’affaiblissement de plus en plus marqués surtout dans les peuplements de basse altitude. Sa grande sensibilité climatique, notamment des températures plus élevées en été et en début d'automne, va obliger les forestiers à privilégier d'autres essences dans les stations les moins propices au hêtre.
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